Dahab Apnea Loic Vuillemin
novembre 2021

TROGER s’entretient avec Loïc Vuillemin, moine bouddhiste et apnéiste de niveau mondial

Le parcours de cet homme est remarquable. Derrière ses choix, qui attisent la curiosité et invitent au témoignage, se dessine une dimension plus subtile : l’irrépressible soif de liberté. Moine bouddhiste et apnéiste de niveau mondial, il interroge chacun de nous sur le destin et les choix de vie, mais aussi notre rapport à la matière et à l’esprit.
TROGER a eu le plaisir d’interroger Loïc Vuillemin, sur ce qui l’anime.

TROGER. Qu’est-ce qui vous a amené vers ces choix de vie hors du commun ?
Loïc Vuillemin. J’ai déjà très jeune ressenti le besoin de me libérer, de vivre des expériences initiatiques et spirituelles. Je me suis rendu au Népal et au Mexique, intéressé par le chamanisme et la vie tribale. Suite à quoi j’ai souhaité recevoir l’ordination, j’avais à peine 20 ans. Mon nouveau maître m’a refusé comme disciple et m’a fait rejoindre l’université de Genève, où j’ai été admis en biotechnologie. Quelques années après, cette discipline ne correspondant plus à mes aspirations, j’ai choisi d’interrompre ma thèse de doctorat. J’ai alors rejoint mon maître dans le sud de la France, où nous avons acquis un ancien centre de vacances que nous avons mis 10 ans à transformer en un temple confortable et conforme aux exigences légales. Au terme de ma mission, je me suis dirigé vers l’apnée, un champ de compétence où j’étais titulaire du brevet d’instructeur. J’ai tenté ma chance en Égypte, comme moniteur. Sachant que dans cette discipline, ce sont les résultats qui forgent la réputation, je me suis ensuite engagé en compétition, avec le projet d’y introduire la méditation.
J’ai assez rapidement réalisé des performances nationales et internationales. Recordman de Suisse, je détiens actuellement les records dans 3 disciplines (poids constant, bipalme et immersion libre). Je suis également le vainqueur 2020 du Freediving World Cup de Sharm el Sheikh, en Égypte et je me suis classé 2e aux championnats d’Égypte de Dahab, toutes catégories confondues cette année-là. Au niveau mondial, je me suis illustré avec des records à 86 m en eau libre,  réalisés il y a quelques semaines.

Comment avez-vous concilié votre cheminement vers le renoncement avec celui de la performance, qui plus est dans le cadre de la compétition de haut niveau ?
La vie du temple est effectivement éloignée de cette notion de compétition, bien que la nature humaine nous incite parfois à nous mesurer les uns aux autres, y compris spirituellement. Lorsque j’ai commencé la compétition, la confrontation humaine ne m’était pas étrangère, je la gérais bien. J’ai rapidement dépassé les effets égotiques de la victoire ou de la défaite, justement par la pratique de la méditation. Je les ai exploités pour mieux me connaître.
J’ai par ailleurs été surpris de l’accueil chaleureux de la communauté apnéiste, au moine que j’étais ; probablement parce que l’apnée induit une maîtrise intérieure aussi déterminante que les aptitudes physiques et techniques.

Qu’est-ce que l’apnée peut apporter à un moine ?
Elle m’entraîne à la confrontation dans une certaine urgence. En méditation, les obstacles et les difficultés sont plus facilement « négociables », en raison du temps à disposition pour les résoudre. À l’opposé, l’apnée m’a appris à maîtriser les obstacles abrupts produits par ma propre personne, dans un environnement immédiat où rien ne peut être sublimé et où la vie est potentiellement en jeu.
J’ai appris à pallier, faire face instantanément, à agir « juste ». Le monde de la compétition m’a également réhabitué à un quotidien que le bouddhisme avait tenté de me fait oublier.

Selon vous, que peut apporter le bouddhisme au quotidien, dans le monde du travail ?
Le cheminement spirituel n’a de valeur que dans la méditation. Il apporte l’expérience de l’abandon de soi. Par la méditation, on s’entraîne malgré le filtre de la matière, à découvrir l’essence de son existence. La méditation permet d’affaiblir la dualité et de trouver le repos, quelles que soient les situations. Je suis convaincu que l’accomplissement de soi passe par elle.

Vous vivez en contact étroit avec la nature. Quel est votre rêve en matière d’écologie ?
Durant le lock-down, il n’a pas fallu longtemps pour observer l’apaisement de la nature.
Il est donc possible d’inverser le destin. Je ne crois guère à l’altruisme des populations, notamment dans les régions pauvres, où le déficit d’eau potable amène à une consommation exclusive d’eau en bouteille plastique, où rien n’est prévu pour le recyclage des déchets et où les besoins quotidiens sont couverts par des produits et des matières de mauvaise qualité, généralement toxiques pour les hommes et l’environnement. Je pense, au risque de choquer, qu’il faudrait monétiser la collecte des déchets, en faire temporairement une matière première, pour intéresser les populations de proximité à cette source de profit.

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