Troger SA s’entretient avec Nicolas Rufener, Secrétaire général de la FMB
Ajoutant à cela ses fonctions de Directeur de Constructionromande, de Président de Métiers d’Art Genève et de l’Ifage, qu’est-ce qui pousse Nicolas Rufener à s’investir avec tant d’ardeur dans l’avenir de sa région ? La réponse s’est révélée lors de l’interview qu’il nous a généreusement accordée, où transparaît son attachement à une santé économique du canton ne sachant exister sans vision sociétale. Sept questions posées à Nicolas Rufener sur le thème de la construction.
Troger. Quel est le pouls du secteur de la construction à Genève ?
Nicolas Rufener. Globalement, le secteur se porte bien. Partout dans le canton, on voit Genève se construire, se rénover, se surélever, et offrir du travail à l’ensemble des corps d’état. Nous approchons de la fin des grands projets qui ont marqué la décennie, tels que les quartiers de l’Étang, de Belle-Terre, des Vernets et des Cherpines. Et malgré un besoin constant de logements, l’État ne planifie pas la libération de nouveaux terrains constructibles. L’avenir se concentrera donc sur la densification urbaine, un processus long qui fait craindre une contraction de l’activité.
La politique de l’habitat n’est-elle pas corrélée à la démographie du canton ?
Au cours des 30 dernières années, nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet et en mesurons aujourd’hui les effets positifs. À titre d’exemple, près de 4000 logements ont été bâtis en 2023 à Genève et environs. Toutefois, l’effort doit se poursuivre : les récentes publications du département du territoire révèlent que l’offre n’est toujours pas alignée sur la demande. Ce déséquilibre pénalise non seulement les étudiants et les familles, mais aussi l’industrie de la construction et de l’immobilier. Le monde évolue et nous devons répondre avec intelligence aux besoins contemporains, avec le support d’une technologie mise au service de l’environnement et des utilisateurs.
Que pensez-vous de l’idée avancée par une chercheuse à l’Université de Münster, selon laquelle la rénovation énergétique des bâtiments ne suffit pas à elle seule et qu’il est crucial de limiter la surface habitable par personne pour réduire l’impact environnemental du secteur ?
Il serait plus judicieux de se concentrer sur la densification et limiter l’étalement urbain, plutôt que d’imposer des restrictions sur les surfaces. Ce qui m’inquiète davantage, c’est le gaspillage territorial, notamment le manque de qualité de vie sociale dans certains grands ensembles en raison d’une densité insuffisante.
Pensez-vous que des technologies comme le BIM et l’intelligence artificielle transformeront le secteur de la construction dans les 5 à 10 prochaines années ?
En dehors des très grands projets, le BIM et l’intelligence artificielle n’apportent pas encore de valeur ajoutée déterminante. Mais on ne peut ignorer l’impact croissant de la transformation numérique sur la plupart des chaînes de valeur. Dans le bâtiment, c’est encore le tour de main et le savoir-faire sur le terrain, qui rendent possible l’acte de construire, mais en amont, le numérique est déjà un prérequis.
Un apprenti sur cinq appartient au secteur de la construction dans le canton de Genève. Quel est votre avis sur la formation et comment attirer les jeunes vers ces métiers ?
Il est crucial de revaloriser la formation professionnelle à Genève, où le tertiaire domine et la voie gymnasiale est souvent préférée. Nous rencontrons des difficultés à maintenir les personnes formées dans le bâtiment. Il est essentiel de promouvoir ces métiers, notamment en raison des enjeux de transition écologique. Il faut séduire les jeunes, les enseignants et les parents, ce qui nécessite un effort de longue haleine.
La FMB propose la Vitrine des métiers du bâtiment, un outil d’information pour les jeunes des Cycles d’orientation, organisé en collaboration avec l’OFPC, les enseignants et les coordinateurs de la formation professionnelle des métiers de la construction. Ces visites visent à donner une image positive et dynamique des métiers du bâtiment, en mettant en avant leur diversité et les débouchés professionnels. La Vitrine présente ces métiers à travers 8 espaces thématiques (chambre, toiture, salle de bain, etc.) pour illustrer leurs interactions.
Bien que ce soit un point de départ intéressant, il est crucial de trouver des moyens d’accrocher les jeunes après leur visite. Plusieurs initiatives de promotion se multiplient, comme des villages de métiers et des visites de centres de formation, mais il est difficile de coordonner ces efforts.
Genève lance son adhésion à l’accord intercantonal sur les marchés publics (A-IMP), qui privilégie le rapport qualité-prix plutôt que le prix le plus bas. Quelles seront les conséquences de ce changement pour les entreprises et les maîtres d’ouvrage à Genève ?
Pour les entreprises, cela permettra à celles qui ne sont pas forcément les moins chères, mais qui offrent une meilleure qualité, de décrocher des contrats publics. Cela pourrait aussi réduire les dérives, où des entreprises peu vertueuses sur les plans social et qualitatif ont remporté des marchés grâce à des prix cassés. Nous espérons aussi une plus grande valorisation des entreprises locales, sur le plan environnemental et social, notamment par la réduction des trajets des travailleurs.
Pour les maîtres d’ouvrage, cela demandera une réflexion plus poussée sur la qualité attendue des prestations.
Quels sont les enjeux pour les métiers du secteur sanitaire, eau et gaz ?
Concernant l’eau, la révision de la loi sur les eaux à Genève est en cours. Les métiers du secteur sanitaire joueront un rôle essentiel pour optimiser l’usage de l’eau et mettre en place des systèmes de récupération et de qualité. Pour le gaz, qui est une ressource finie, nous devrons progressivement passer à d’autres agents énergétiques, ce qui impliquera des modifications importantes dans les infrastructures, en particulier pour les réseaux thermiques. Les métiers sanitaires et du chauffage devront s’adapter pour répondre à ces nouveaux défis.