HomeNewsroomTroger SA s’entretient avec Cédric Petitjean, Directeur général de l’Office cantonal de l’énergie (OCEN)

Troger SA s’entretient avec Cédric Petitjean, Directeur général de l’Office cantonal de l’énergie (OCEN)

« La transition énergétique genevoise doit être enthousiasmante, pas anxiogène ».
Directeur général de l’Office cantonal de l’énergie (OCEN) depuis 2020, Cédric Petitjean pilote la mise en œuvre du Plan directeur de l’énergie 2020–2030. Ingénieur de formation, passé par le CERN et le secteur privé avant de rejoindre l’État, il défend une approche pragmatique et collective de la transition énergétique : sobriété, réseaux thermiques, efficacité du bâti et innovation « low-tech » plutôt que gadgets technologiques. Rencontre avec un homme qui croit au dialogue et à la cohérence des actes. 

Troger. Vous êtes ingénieur chimiste de formation. Qu’est-ce qui vous a amené à diriger l’Office cantonal de l’énergie ?
Cédric Petitjean. Affecté au CERN lors de mon service militaire français, c’est là que j’ai découvert Genève et l’univers de l’énergie. J’ai entamé ma carrière professionnelle dans un spin-off du CERN spécialisé dans les panneaux solaires haute température, que j’ai ensuite dirigé. Cette expérience m’a plongé dans les technologies « cleantech » et m’a permis de collaborer étroitement avec le tissu économique local. Quand j’ai quitté l’entreprise, j’ai rejoint l’État pour soutenir le développement des énergies renouvelables. Puis, progressivement, j’ai pris la direction opérationnelle de l’OCEN, avant d’en devenir le directeur général. 

Quels objectifs vous êtes-vous fixés en prenant la tête de l’office ?
Deux priorités : transformer l’organisation de l’OCEN pour la rendre plus agile et établir un nouveau plan directeur de l’énergie. Le précédent datait de plus de quinze ans ! Il était urgent de redonner une vision claire à nos équipes et à l’ensemble des acteurs territoriaux. Le Plan directeur 2020–2030 se fonde sur deux axes : consommer moins (sobriété et efficacité énergétique) et consommer mieux (développement des énergies renouvelables, infrastructures réseaux et stockage). Ces principes traduisent l’article 1 de la loi cantonale sur l’énergie : utiliser rationnellement l’énergie et valoriser les ressources locales. 

Ce plan évoque pour la première fois la sobriété et la souveraineté énergétiques. Que signifient-elles à Genève ?
La sobriété, c’est une prise de conscience collective : chaque kilowatt compte. À Genève, l’indice de dépense de chaleur (IDC) – permet de suivre l’évolution réelle de la consommation des bâtiments. Cela nous permet de cibler nos efforts et de construire un plan de rénovation ambitieux. Quant à la souveraineté, elle ne signifie pas l’autarcie, mais la capacité à maîtriser nos approvisionnements et nos réseaux. Il faut éviter de reporter toute la charge sur l’électricité – mobilité, data centers, pompes à chaleur –, et c’est pourquoi nous développons fortement les réseaux thermiques structurants. 

Ces réseaux thermiques sont devenus un pilier de la stratégie cantonale. Pourquoi ce choix ?
Parce qu’ils permettent d’utiliser la chaleur du lac, la valorisation de la chaleur de l’usine d’incinération ou de la station d’épuration mais aussi les rejets industriels. C’est aussi un moyen pour décharger le réseau électrique dans une société qui s’électrifie avec notamment la mobilité ou les pompes à chaleur pour sortir du fossile. Dans un canton dense et urbain, ils constituent la solution la plus rationnelle pour sortir des énergies fossiles en conjuguant d’autres politiques telles que le patrimoine ou le bruit. C’est un changement de paradigme : alors que le monde libéralise les monopoles, Genève en a créé un pour garantir le déploiement de ces réseaux sur tout le territoire, même dans les zones moins rentables. C’est un outil de politique publique, mais aussi un formidable levier économique : quand on développe un réseau thermique, ce sont les entreprises genevoises qui travaillent, pas des fournisseurs de mazout étrangers.
C’est un chantier immense – probablement le plus grand depuis le CEVA – mais qui façonnera Genève pour les 60 à 90 ans à venir. 

La rénovation des bâtiments est un autre levier central. Comment accompagnez-vous les acteurs du terrain ?
Nous travaillons main dans la main avec les professionnels : milieux immobiliers, communes, entreprises du bâtiment. La clé, c’est la co-construction. Les seuils de performance énergétique ont été abaissés en concertation avec eux : 800 MJ/m²an aujourd’hui, 650 en 2027, 550 en 2031. Nous avons mis en place un dispositif de contrôle et de sanction, mais aussi un accompagnement technique et financier. Un accord pour la rénovation du parc bâti a été signé avec tous les milieux et le Conseiller d’État en charge du territoire, Antonio Hodgers. Le Grand Conseil a octroyé 500 millions de francs pour la rénovation du parc bâti genevois, dont 70 % pour les propriétaires privés. L’objectif n’est pas de punir, mais de faire faire.  

La suppression de la valeur locative votée le 28 septembre dernier pourrait-elle freiner ces efforts ?
C’est possible. Toute mesure qui réduit les incitations à rénover est problématique. Mais Genève dispose d’un dispositif solide : nos subventions garantissent que les rénovations ne se fassent pas sur le dos des locataires, et les exonérations fiscales pour les bâtiments rénovés restent en place. Il faudra voir comment la réforme fiscale fédérale s’articule avec cela et éventuellement proposer quelque chose en collaboration avec nos partenaires. 

Vous évoquez souvent l’innovation « low-tech ». Pourquoi ce choix à contre-courant ?
Parce que la meilleure innovation, c’est souvent le bon sens. Les pompes à chaleur existent depuis toujours. Ce qui change, c’est la manière de combiner les technologies selon le contexte. L’innovation sera dans le concept énergétique, pas dans la surenchère technologique. Le low-tech, le réemploi des matériaux, la rationalité dans les choix : voilà la vraie modernité. Inutile de construire une « usine à gaz » que personne ne saura faire fonctionner. 

Et l’hydrogène, dans tout ça ? Miracle ou mirage ?
Ni l’un ni l’autre. L’hydrogène n’est pas une énergie, c’est un vecteur énergétique. Utilisé intelligemment, par exemple pour stocker le surplus d’électricité estivale et le restituer l’hiver, il a du sens. Mais tout miser dessus serait une erreur : produire de l’hydrogène consomme énormément d’énergie, et les infrastructures sont lourdes. Pour moi, c’est un outil parmi d’autres, utile pour certaines industries, mais pas une panacée. 

Dans un rôle où les résultats se mesurent sur des décennies, quelle est votre source d’énergie personnelle ?
Le sentiment d’être utile. Je veux montrer que l’administration est capable de travailler avec tous les milieux et donc que le Plan directeur de l’énergie soit exécuté et aboutisse. On est à mi-parcours : 2030, c’est demain. Si tout ce qu’on a écrit est effectivement mis en œuvre, j’aurai le sentiment d’avoir servi la cause. 

Et si vous aviez une baguette magique ?
Je ferais aimer les métiers de la transition énergétique. Aujourd’hui, à l’HEPIA, il y a une dizaine de diplômés par an dans le pôle technique du bâtiment, contre une centaine chez les architectes. Or nos besoins sont énormes ! Ces métiers ne sont plus manuels au sens ancien : ils demandent technicité, régulation, numérique. Ce sont des métiers d’avenir, épanouissants et utiles. Il faut les rendre attractifs. 

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